Cérémonie du 11 novembre 2018

Le Centenaire de l'Armistice à Sainte-Suzanne

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Monument aux morts 3

 

Discours de Jean-Pierre Morteveille, Maire de Sainte-Suzanne-et-Chammes

 

11 NOVEMBRE 2018

 

« La guerre, c'est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent très bien, mais ne se massacrent jamais ». Cet aphorisme de Paul Valéry pourrait suffire à résumer la guerre, toutes les guerres.

Au-delà de ce constat un peu cynique mais malheureusement exact, c’est aux habitants de nos deux villages que nous voulons aujourd’hui rendre hommage.

Nous souvenir des jeunes de Chammes et de Sainte-Suzanne, qui ont offert le sacrifice suprême, en mourant pour la France, privés de leur jeunesse et de leur avenir.

Mais nous souvenir aussi de ceux qui ont été blessés, mutilés, gazés, estropiés, marqués à jamais dans leur corps, leur esprit et leurs terribles souvenirs…

Mais nous souvenir aussi des mères, des épouses, des pères, des enfants qui ont perdu un ou plusieurs êtres chers, et ont vécu ces années d’enfer pour que la France et ses alliés gagnent la guerre.

Plus encore aujourd’hui, nous avons un devoir de mémoire, et nous devons le transmettre aux jeunes générations, afin qu’à leur tour, elles n’oublient pas le sacrifice de ceux qui ont donné leur vie pour une cause qu’ils savaient juste, celle de la Liberté de notre Pays et de la Paix en Europe.

Cette cérémonie mémorielle constitue aussi l’occasion de mettre à l’honneur les survivants des différents conflits et missions extérieures : nos anciens combattants, dont ceux d’Algérie et d’Afrique du Nord, ou plus récemment encore d’Afghanistan, d’Irak ou du Mali.

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Au nom du Conseil municipal de Sainte-Suzanne-et-Chammes, j’ai donc l’honneur de célébrer aujourd’hui le Centenaire de  l’Armistice qui mit fin à la Première Guerre mondiale.

C’est l’occasion partout en France, de reconnaître le souvenir des siens, et d’honorer tous ceux qui ont versé leur sang pour qu’elle vive. Toutes les villes, tous les villages comme nous, ont fait sonner ce matin les cloches de leurs églises à grande volée, comme le 11 novembre 1918.

La Mayenne a payé un terrible et lourd tribut lors de la guerre 14-18 : c’est le 2e département en France à avoir connu la plus grande mortalité par rapport à sa population. Dans notre commune, 94 hommes de 18 à 46 ans ont payé de leur vie leur engagement : c’est 6% de sa population de l’époque et 40% des hommes de 20 à 40 ans.

Les communes de Sainte-Suzanne et de Chammes ont gravé leurs noms sur les monuments aux morts qu’elles ont érigés, et les paroisses d’alors, sur des plaques commémoratives dans nos églises. Vous pouvez voir ci-dessous une photo de celle qui était apposée à l’entrée de l’église de Sainte-Suzanne, et qui a malheureusement disparu il y a une vingtaine d’années.

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La Commune de Sainte-Suzanne-et-Chammes se souvient de vous, les enfants d’ici, nés à Chammes ou à Sainte-Suzanne même, d’autres dans les communes proches et qui habitiez ici. Vous étiez cultivateur, journalier, domestique, maître d’hôtel, clerc de notaire, menuisier, employé de bureau, cheminot, facteur, forgeron,, briquetier, tanneur, meunier ou  carrier…

Mais aussi vous, les enfants d’ailleurs, qui aviez épousé une Camélésienne ou une Suzannaise ; la population a voulu alors vous honorer comme ses propres enfants. Le deuil fut si absolu dans les villages, pour les mères, pour les jeunes épouses, pour les fiancées et les compagnes….

Vous êtes partis dès le 2 août 1914 vous battre, et mourir… Entre le 10 et le 31 août, 10 d’entre vous étaient déjà Morts pour la France… en Belgique. Puis ce fut dans la Meuse, la Somme, les Vosges, le Nord, le Pas-de-Calais, la Marne, l’Oise, l’Aisne, les Ardennes ou la Haute-Saône… Votre vie s’est arrêtée à Virton, au chemin des Dames, à Ypres, aux Éparges, à Verdun, en Allemagne, en Pologne..

Vos dépouilles reposent dans 30 Nécropoles nationales différentes, et dans nombre de cimetières militaires.  Mais pour plus de 50 d’entre vous, on ne trouve aujourd’hui nulle trace du lieu de votre sépulture.

Sainte-Suzanne se souvient de vous, les frères Émile et François BLANCHE, qui étiez nés à 13 mois d’écart, êtes morts au combat à 11 mois d’écart, vos noms ont été gravés en cette année 2018 au mémorial de l’ossuaire de Douaumont.

Sainte-Suzanne se souvient de vous, Léonce MORAINE, cultivateur à la Rivière, Canonnier au 104e RAL, vous étiez le plus jeune, vous n’aviez pas encore 19 ans… Et vous aussi, Marcel GESBERT, Benoist GIRAULT, Marcel LEDEUL, Émile DUFEU, Alfred MORIN, Paul AUBRY, vous, vous n’aviez pas encore 20 ans…

Et vous, Louis DOUZAMI, cultivateur aux Chemins, Soldat du 260e RIT, vous étiez le plus âgé, 46 ans, vous êtes mort dans l’ambulance de l’hôpital militaire de Saint-Mihiel le 2 novembre 1918 : 9 jours avant l’Armistice…

 

Sainte-Suzanne et Chammes se souviennent de vous, Sous-Lieutenant Paul BLANCHARD, Soldat François BLANCHE, Sergent Joseph CLAIRET, Soldat François LEROUX, votre conduite héroïque vous a valu la Croix de Guerre 14-18, et de vous, Adjudant Théodore BOUTELOUP, Soldats Henri LEVRARD, Pierre MORTEVEILLE, Caporal Gustave PAVIE, honorés à la fois de la Médaille Militaire et de la Croix de Guerre 1914-1918.

Ou bien de vous, Chef de Bataillon du 1er Régt de Marche des Tirailleurs Georges ZWILLING, Chevalier de la Légion d’Honneur, né à Besançon mais marié à Chammes avec une fille du Pays, Alice RICHARD. Le village où vous êtes tombé le 20 avril 1917, Moronvilliers, n’existe même plus aujourd’hui, il fait partie de ces 9 villages où il n’est rien resté. 86 habitants en 1911, 0 après 1918.  Comme Vaux-devant-Damloup, 74 habitants « avant », où le soldat Isidore DESNOS, de Ste-Suzanne, fut tué le 20 mai 1916, ou celui de Tahure ,  185 habitants « avant »,  qui vit tomber Almire LANDAIS, de Chammes, le 16 mai 1917.

Sainte-Suzanne et Chammes se souviennent de vous, faits prisonniers et qui êtes morts en captivité : Édouard GESLIN, mort au camp d’Altdamm en Poméranie (aujourd'hui Dąbie, en Pologne), et Pierre LETERME, dont le nom figure sur les monuments aux morts de nos deux communes, mort au camp de prisonniers de guerre de Rollenbach et qui repose à la Nécropole nationale des Prisonniers de guerre français de Sarrebourg.

Sainte-Suzanne et Chammes se souviennent de vous, Soldats Henri ANDRÉ, Louis BOUTRUCHE, Georges COUTELLE, Maurice GOUPIL, Jules HUMBERT, Caporal Alexis LEGENDRE, Soldats Auguste TESSÉ, Henri VAUDOLON, Vous êtes officiellement disparus au combat, vos corps n’ont jamais été retrouvés sur les champs de bataille. Nul ne sait ce qui vous est arrivé ni ne pourra jamais se recueillir sur votre tombe…

Sainte-Suzanne et Chammes se souviennent de vous, les 21 blessés graves qui périrent de leurs blessures dans les ambulances ou les hôpitaux de France, malgré les soins et le dévouement des infirmières civiles, militaires, religieuses ou bénévoles…

Et 8 sont morts de maladie contractée en service : fièvre typhoïde, tétanos, péritonite, pneumonie aigüe. Sans compter ceux qui survécurent à d’atroces blessures et durent supporter une vie sans membres, sans organe essentiel et parfois sans visage, faisant d’eux les « gueules cassées », des masques d’horreur. La première guerre fit, tous pays confondus, 17 661 000 morts et disparus et 21 219 500 blessés…   

Sainte-Suzanne et Chammes se souviennent de vous, les époux qui avez perdu DEUX de vos fils à quelques jours ou quelques mois d’intervalle :

Émile BLANCHE et Marie ALOCHE, Pierre BOUTELOUP et Françoise DESNOS, François  BOUTELOUP et Françoise GOUGEON, Louis CHOISNET et Adèle NAVEAU, François COUTELLE et Marie BELLANGER, Ferdinand GESBERT et Marie BERSON, Pierre GOUPIL et Marie FAGUET,  Jean GUITON et Ernestine MORTEVEILLE, Auguste TESSÉ et Julie LANDRY.

… et vous, Jean-Baptiste HARDY et Valentine POIRIER, Cultivateurs aux Sérardières, ce sont vos trois fils, Jean-Baptiste 26 ans, Valentin 23 ans et Paul 20 ans, qui sont tombés sur les champs de bataille, dans le sang et la boue…

Dans ces 10 familles, 23 morts pour la France

Sainte-Suzanne et Chammes se souviennent de vous, Aimée ou Augustine, Eugénie ou Félicité, Joséphine ou Marie, Marthe ou Valentine… Vos 22 jeunes maris tués à l’ennemi loin de vous, avaient 35 ans de moyenne d’âge, et vous encore moins. C’est vous, toutes les veuves, les mères, et les jeunes filles, qui avez fait survivre nos Communes, exploité seules vos fermes, vos commerces et élevé vos enfants devenus orphelins, durant ces terribles années de guerre et celles qui ont suivi…

Et dire qu’il vous aura fallu encore attendre 27 ans avant d’obtenir le droit de voter…

 

Chammes et Sainte-Suzanne se souviennent de vous, Auguste PERROT, Maire de Sainte-Suzanne, et Charles ROUSSET, Maire de Chammes, qui avez assumé le devoir, et trouvé le courage d’annoncer à toutes ces familles le décès ou la disparition d’un proche…

Vous ne les avez d’ailleurs pas tous annoncés : Charles ROUSSET, vous avez vous-même été appelé au combat de la Grande Guerre, et remplacé par votre Adjoint Ferdinand BLANCHARD. La guerre finie, rien ne pouvait être plus comme avant : vous avez démissionné de la fonction de maire fin février 1919 et repris votre métier de cordonnier.

Et vous, Auguste PERROT, vous vous êtes donné la mort en mai 1918, dans votre parc de la Butte verte… découragé, désespéré, soutenu par personne pendant les réquisitions de chevaux, de bétail, de fourrage, de céréales, de foin, de cuir et de matériels roulants, l’accueil des réfugiés, le soutien aux miséreux, ou bien le refus du château et des habitants aisés d’accueillir temporairement chez eux des soldats américains.

Aucun citoyen ne voulut de la fonction de maire après vous, c’est le meunier du Pont-Neuf, Joseph MAUNY, qui poursuivit la funèbre mission… Et c’est votre fille qui donna à la Commune les 22 m² 80 de terrain où fut érigé ce monument aux morts, inauguré le 9 octobre 1921 par le nouveau maire Auguste LE BAILLIF, lui-même ancien combattant.

 

Sainte-Suzanne se souvient de toi, Joséphine, l’aubergiste du Lion d’Or, tu accompagnais le plus souvent le maire de Ste-Suzanne dans cette horrible démarche d’annoncer l’indicible, sans doute parce que tu trouvais les mots qui apaisent, les mots pour essayer d’atténuer la douleur, jusqu’à ce jour de juillet 1918 où le lugubre Communiqué des Armées concernait la mort au combat de ton propre fils, Pierre…

Oui je me souviens de toi, sans t’avoir connu, Pierre Morteveille, mon oncle, mort il y a 100 ans le 18 juillet 1918 à la baïonnette, sur ta pièce d’artillerie du 124e RI, au Mont-Cornillet, une colline de 207 m. dans la Marne où, ce jour-là, eut lieu la dernière grande offensive française.

Tes citations élogieuses et tes médailles prestigieuses n’effaceront pas l’horreur de ce qui fut aussi la dernière grande offensive allemande, dérisoirement nommée la Friedensturm (« bataille pour la Paix… »). Cette colline à prendre, à garder ou à reprendre, était truffée de galeries gazées à l’Ypérite et écroulées sous les obus de 400mm, où les soldats allemands survivants étaient aussi éreintés que les français.

Il faudra attendre 1974, 56 ans après, pour qu’une équipe mixte de sapeurs allemands et français retrouve 414 corps de jeunes soldats entassés dans les galeries. Peu d’entre eux purent être identifiés ni leur nationalité connue, tant les ossements étaient enchevêtrés les uns sur les autres. La panique des bombardements asphyxiants les avait fait se ruer et s’entasser vers des accès obstrués.  

Les honneurs leur furent rendus par les deux pays. Ainsi mon oncle repose peut-être à l’ossuaire du cimetière allemand de Warmeriville, à l’est de Reims, comme ceux de beaucoup de ses camarades français morts sur ce site. Tout un symbole.

Aujourd’hui, une plaque de pierre blanche rappelle ton souvenir sur la tombe de tes parents à Ste-Suzanne. Blanche, comme la Paix. Dans le tombeau mitoyen repose l’Adjudant Théodore BOUTELOUP, de Clairbois à Chammes, lui aussi comme toi Médaille militaire et Croix de guerre, tué à l’ennemi à Fontenoy dans l’Aisne le 25 janvier 1917.

 

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Le 11 novembre 1918, l’Armistice a éclaté, comme avait éclaté la guerre : par surprise.

Louis, un Suzannais de 9 ans à l’époque, qui a vécu l’annonce de la mort de son frère aîné et l’armistice 3 mois après, a décrit ce qui s’est passé ici ce jour-là : « A l’armistice, le lundi 11 novembre, ce fut une immense joie dans le village. Nous fûmes autorisés à quitter l’école et nous partîmes sur la Poterne pour y faire éclater des pétards ». C’était sur cette place même, il y a juste 100 ans, jour pour jour, heure pour heure. L’espoir reprenait vie… Mais pour 20 ans seulement.

 

Merci aux enfants de l'école qui ont dessiné cette colombe, et ont déposé la gerbe du souvenir, merci à nos jeunes Sapeurs-Pompiers Volontaires de Chammes et de Ste-Suzanne, qui m'ont assisté pour la décoration de nos porte-drapeaux. Merci à nos jeunes que nous sommes fiers de voir assister aujourd’hui à cette cérémonie, à côté de nos Anciens Combattants. Autant de symboles de la transmission inter-générationnelle de notre devoir de mémoire.

 

La symbolique de la prochaine entrée au Panthéon de Maurice Genevoix, de l’Académie Française, avec le souvenir de tous les Poilus, permettra de reconnaître que la France leur est à tout jamais reconnaissante.

Personne d’autre que Maurice Genevoix n’a mieux décrit « ceux de 14 » :

"As-tu jamais songé aux autres morts, ceux que nous n'avons pas connus, tous les morts de tous les régiments ?

 Le nôtre, rien que le nôtre, en a semé des centaines sur ses pas.

Partout où nous passions, les petites croix se levaient derrière nous,

les deux branches avec le képi rouge accroché.

Nous ne savions même pas combien nous en laissions : nous marchions...

Et dans le même temps, d'autres régiments marchaient, des centaines de régiments, dont chacun laissait derrière lui des centaines et des centaines de morts.

Conçois-tu cela ? Cette multitude ? On n'ose même pas imaginer...

Et il y a encore tous ceux que les guimbardes ont cahotés par les routes, saignant sur leur litière de paille,

 ceux que les fourgons à croix rouge ont emmenés sur toutes les villes de France, les morts des ambulances et les morts des hôpitaux?

Encore des croix, des foules de croix serrées à l'alignement dans l'enclos des cimetières militaires."


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Je procède à présent à la lecture du message de M. Emmanuel Macron, Président de la République française, et à la citation des Militaires Morts pour la France en 2018.

Ensuite vous pourrez assister à une brève évocation historique sur l'origine de la sonnerie "Cessez-le-feu", écrite et interprétée par notre concitoyen le comédien Gilles RAAB, avec le concours de deux de nos habitants en costumes, Philippe LEFEUVRE et Thierry GILMAS.

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